Propos Branchés

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme
La Triennale québécoise
Musée d'art contemporain de Montréal
Du 24 mai au 7 septembre 2008

Vous venez de lire « La Triennale québécoise » et vous pensez peut-être que, contrairement à la Biennale de Montréal, vous n'en avez jamais entendu parler. La raison en est simple : il s'agit de la première. Aussi faut-il saluer d'emblée la décision du directeur du Musée d'art contemporain de Montréal de montrer, tous les trois ans, un rassemblement d'œuvres d'artistes québécois qui permette aux amateurs d'art d'avoir une vue d'ensemble sur la production artistique actuelle. En tout, vous pourrez voir 135 œuvres réalisées par 38 artistes et collectifs. Mais, rassurez-vous, je n'en commenterai qu'un petit nombre et vous n'aurez pas à subir une énumération fastidieuse. En fait, je vous propose de faire en ma compagnie une visite subjective. Toutefois, il ne s'agit pas de ma propre subjectivité, bien qu'elle puisse se glisser dans mes propos, mais bien de la vôtre. En effet, je vais me mettre à votre place, c'est-à-dire à la place de quelqu'un qui voudrait acheter une œuvre d'art pour l'installer dans sa maison ou encore dans les bureaux ou dans le hall d'une entreprise, comme si le Musée d'art contemporain était devenu pour l'occasion une grandiose salle de montre.

Le comité d'accueil

Je ne vous parlerai donc pas des installations qui manifestent souvent une grande originalité, ni des vidéos qui sont nombreuses et dont certaines sont excellentes, mais vous pourrez vous asseoir pour les regarder. Ce petit repos, à n'en pas douter, sera bienvenu, car la Triennale occupe toutes les salles du musée. Il faut donc prendre son temps pour bien profiter de cette exposition. Si vous le voulez bien, nous allons commencer notre visite en nous dirigeant vers la droite. Nous empruntons ce large corridor, au bout duquel se trouvent généralement les expositions temporaires, dans lequel est exposée la longue murale photographique de Gwenaël Bélanger intitulée Le faux mouvement. Cette impression au jet d'encre fait partie de son excellente série des Chutes. Dans cette œuvre, ce sont des miroirs qui se fracassent et les morceaux suspendus reflètent des fragments de la pièce qui est ainsi partiellement dupliquée. Nous voici maintenant arrivés devant le comité d'accueil, deux géants créés par David Altmejd - étoile montante de la sculpture au Québec - qui a représenté le Canada à la Biennale de Venise en 2007. Ces œuvres constituées d'éléments hétérogènes illustrent fort bien la citation de Lavoisier qui sert de thème à la Triennale. Le dentiste abrite des œufs de caille et des dents dans les minuscules anfractuosités de son corps fait d'un assemblage de miroirs. Quant au Berger, vêtu de hardes en crin de cheval, à l'intérieur duquel monte un escalier de miroirs, il revisite, de façon baroque, le mythe du Cyclope avec lequel Ulysse avait eu maille à partir.

Un choix subjectif

Dans Friche 1 de Patrick Coutu, d'étranges buissons de bronze semblent s'incliner sous le souffle d'un vent violent et ses encres sur papier intitulées Duo : Grille (1 et 2) évoquent, avec une virtuosité minimaliste, des balcons en fer forgé. L'art de Michel de Broin est assurément contestataire, néanmoins je verrais bien dans le hall d'entrée d'une entreprise l'extraordinaire sphère composée de 72 chaises tournées vers l'intérieur intitulée Black Whole Conference. Elle servirait de rappel permanent à la nécessité du dialogue. Nicolas Baier est, à mon avis, l'un des plus grands photographes du noir et Vanités 2 le confirme une fois de plus. Ce polyptique d'impressions au jet d'encre de plus de 9 mètres de long montre toute sorte de miroirs plus ou moins décorés, plus ou moins abîmés dont un traitement informatique a modifié la couleur. Dans ce noir brillant surgissent des fleurs blanches, des biseaux violacés ainsi que des traces rougeâtres ou sépia qui constituent la marque visible de la fuite du temps. Les tableaux de très grand format d'Etienne Zack évoquent au premier abord les perspectives impossibles d'Escher. Néanmoins, ces œuvres, par leurs références aux livres ou à la peinture et par le travail sur la couleur, sont très personnelles. En revanche, si vous aimez les tableaux de petit format, les gouaches hyperréalistes de Michael Merrill vont probablement vous plaire - d'autant plus qu'elles constituent aussi une réflexion sur les œuvres d'artistes contemporains - et les collages de Julie Doucet, qui joue avec les mots et les images, ne vous laisseront certainement pas indifférent. Isabelle Hayeur est connue pour les panoramas composites qu'elle réalise avec le logiciel Photoshop et qui semblent plus vrais que la réalité. Untitled legacy qui montre une rive boueuse et un bâtiment couvert de graffitis ne fait pas mentir sa réputation, mais vous préférerez sans doute les transparences fascinantes du bâtiment de verre de Day Trading.

Notre visite s'achève. Vous allez découvrir de nombreuses œuvres dont je ne vous ai pas parlé, car il m'a semblé qu'elles seraient plus à leur place dans une institution muséale que chez un collectionneur ou dans une salle de conférence. Mais je ne voudrais pas vous quitter sans vous dire que cette exposition n'est jamais ennuyeuse et qu'elle est même souvent ludique. Je n'en veux pour preuve que Logopagus, la sculpture de Doyon-Rivest qui se trouve dans le hall d'entrée de l'exposition et que vous allez rencontrer sous forme d'images ici et là tout au long de votre parcours, car « Logopagus est curieux », tout comme vous, de voir ce qui se fait de plus original dans le domaine des arts visuels au Québec aujourd'hui. Cette entité double, tels Dupond et Dupont, représente ironiquement les deux artistes et son manifeste, que vous ne manquerez pas de lire sur une grande affiche, se termine ainsi : « Mais qu'on se le tienne pour dit : Logopagus n'est pas du genre à perdre sa bonne humeur ». Je suis sûre qu'en sa compagnie, vous non plus, vous ne la perdrez pas.

Françoise Belu